Tableaux parisiens 1/2
Dans la cour d’une école d’ostéopathie située dans le quinzième arrondissement de Paris, juste au-dessus de la gare Montparnasse, deux gros rats se disputent les restes d’un MacDo en piaillant. Leurs petites dents aiguës déchirent le papier d’emballage graisseux et découpent des morceaux de ce qui fut autrefois un Big Mac, abandonné là par quelque étudiant peu consciencieux.
Au même moment, sous un soleil voilé, au Jardin du Luxembourg, près de la rue Vavin, un groupe d’étudiants avides et boutonneux griffe et crie autour des tacos tièdes qu’ils viennent juste d’acheter à l’angle. Ça se rue sur la nourriture, ça hurle qu’il manque la part Maxi Size pour Sonia ; les cris des filles se mêlent aux borborygmes des garçons mordant à pleines dents dans la sauce et le gras qui tâchent leurs doigts.
Une famille- le père, la mère enceinte et les trois autres bambins- passe près d’eux, sodas à la main, pailles en carton dans la bouche, et tout le sucre imbibe goulument leur foie, intoxique leurs artères, englue leurs connexions neuronales.
Dans un immeuble haussmannien quelconque, tel qu’on en trouve des dizaines à Paris, une étudiante de Sciences Po en troisième année, mascara et rouge à lèvre bien en place, s’use la langue, la salive et la main droite à faire une fellation à un autre science-piste ; c’est le cinquième depuis le début de l’année qui passe entre ses lèvres.
Il est dix heures quinze, nous sommes au mois d’octobre. Paris gronde, son ventre énorme gargouille de faim, de plaisir, de colère, de frustration et de peur. Les tentacules du métro parisien enserrent et desservent des millions de voyageurs anonymes chaque jour, les emmènent de l’ombre à la lumière, de la puanteur souterraine à la puanteur extérieure le temps d’un trajet moyen de vingt minutes.
Enfermés dans la spirale de ses vingt arrondissements, les intestins de Paris grognent et secrètent une étrange alchimie qui fume et qui brûle. Les rues de Paris sentent le souffre, les égouts, la pisse et le gazoil. Elles puent la promiscuité des centaines de personnes qui transpirent ensemble derrière les vitres embuées de la ligne 13. Elles sentent l’argent propre et l’argent sale, le parfum bon marché et la haute couture.
On y entend le bruit du départ et le bruit de l’arrivée. Les portes s’ouvrent et se ferment, les valises roulent, les taxis s’en vont, les vélos sonnent, les trottinettes filent à toute allure, minces sauterelles vertes et fragiles dans ce décor grisâtre. Les trains sont en retard, les avions sont toujours à l’heure, les trottinettes tombent en panne, les Uber violent leurs clientes et les intestins de Paris continuent de digérer.
Ajouter un commentaire