Tableaux parisiens 2/2
Sur l’esplanade de la tour Montparnasse il souffle un vent à décorner les perches à selfies. Les chapeaux s’envolent, les jupes se soulèvent, les touristes chinois râlent, et les grandes dames maigres ploient comme des mâts sous la tourmente. Les mouettes s’en donnent à cœur joie et les pigeons s’éparpillent dans tous les sens.
Au même instant, sur la terrasse d’un café huppé du cinquième arrondissement, un serveur, grisé par cette brise fluviale qui caresse Paris, renverse tout le contenu de son plateau sur la robe blanche d’une Américaine fortunée. L’Américaine crie au scandale dans sa langue natale, son compagnon s’affole de voir un si bon Bourgogne gâché sur le décolleté de sa partenaire et le garçon de café se précipite piteusement vers un détachant quelconque pour tenter de rattraper sa maladresse. Mais, est-ce sa faute, après tout, s’il vente et s’il n’aime pas les Américains ?
Quant au fleuriste coréen de la rue Vavin, lui se plaint de voir s’effeuiller tous ses bégonias, ses dahlias, ses lys et ses cyclamens à la rose des quatre vents, au nez et à la barbe des passants.
Au jardin du Luxembourg on dirait pourtant que rien ne change, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Les petits poneys passent suivant la ronde cyclique des heures, les enfants s’envolent sur leurs balançoires au grand dam de leurs parents, et tous geignent d’avoir laissé partir leur ballon rouge dans le ciel.
Il est dix heures du matin à Paris et toute la ville s’agite des vents contraires qui la parcourent. Les choses graves et sérieuses sont tournées en dérision ; les plaisanteries prennent l’ampleur des déclarations de guerre ; tout est sens dessus dessous. Le vent se moque de savoir si les Parisiens sont des êtres raisonnables ou fous : pour lui, toute existence est éphémère et ne vaut pas la peine qu’on s’attache au poids des choses dites, vécues et entendues. La Tour Effeil, la tour Montparnasse et la Défense sont autant d’injures de stabilité et de raideur. Rien ne vaut que le mouvement. Celui du métro, des bus, des trottinettes, des taxis, des pigeons, des rats, des hommes et celui de la Seine.
Il est dix heures du matin et, sur le quai des Orfèvres, les passants se promènent la tête en l’air et les pieds sur terre, avec comme unique compagne la tumultueuse rumeur de la Seine. Elle leur murmure que Paris est une fête où le vin et le sang coulent à flots toutes les nuits, où l’on risque de mourir et de renaître à chaque aube nouvelle, où toute aventure vaut la peine d’être vécue pour peu qu’on sache s’y abandonner et laisser derrière soi ses peaux mortes aux peaux-rouges criards du fleuve.
Date de dernière mise à jour : 09/03/2021
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