Crépuscule
Poème à lire et à écouter...
C’est si délicieux de t’avaler, Jour.
Ça réchauffe, ça pétille.
Ça coule dans la gorge comme un alcool. Ça brûle, ça se débat tout du long, ça explose.
Jour croit toujours qu’elle peut me résister. Mais je suis plus patient qu’elle. Je suis plus doux. À la douceur rien ne résiste.
Je commence lentement, en étirant mes bras autour d’elle, pour la câliner. Pour la piéger. On n’attrape pas Jour sans quelque ruse.
Elle aime qu’on l’admire, Jour. Elle aime qu’on la regarde et qu’on se brûle dans son regard. Elle croît que je suis prêt à me consumer pour elle quand elle me voit arriver, à pas de loups et bras ouverts.
Mais elle n’a pas remarqué que mon sourire cache un gouffre.
Au fur et à mesure que je me rapproche d’elle, j’avale lentement tout le territoire qu’elle colore et réchauffe de ses rayons. Quand elle me devine, tout au loin, elle qui règne seule sur l’Azur, elle croit que derrière mon habit de nuit brille toujours sa splendeur. Elle se trompe.
J’ai tout avalé sur mon passage. J’ai tout recouvert, j’ai tout éteint.
Depuis l’autre extrémité de l’Univers,
j’attrape les filaments dorés de sa robe par le bout des doigts.
C’est électrique, ça picote.
Son habit de lumière ne peut pas résister à ma force d’attraction. Les dentelles de sa robe viennent d’emblée s’accrocher dans mes cheveux, s’empaler sur les épines de ma barbe, se noyer dans l’espace abyssal de mes narines.
Plus j’avance, plus j’aspire son énergie, et plus elle décroit dans le ciel.
Quand elle me voit devant elle, elle reste fascinée. Elle se pensait sans rival, éblouie par sa propre beauté, aveuglée par l’éclat de sa blancheur. Dépouillée de sa robe à la longue traine, elle apparait dénudée à mes yeux. Elle n’est que rondeurs parfaites, un point brûlant, une boule de lumière concentrée dans un écrin circulaire. Au sein de sa beauté git sa faiblesse.
Moi je ne suis pas UN, comme elle l’est.
Je suis multiforme.
J’ai des bras de toutes les tailles, je suis la somme de toutes les couleurs, j’ai le visage de mes ennemis, et l’apparence du velours.
Elle se rend compte trop tard qu’elle est encerclée.
Dans mes bras infinis, la mort est sûre et lente.
De détresse, elle envoie des langues rouges, roses et oranges, percer mes peaux d’obscurité.
Ces petites comètes arrivent parfois à trouer ma cape. Mais alors je les saisis et les tord entre mes doigts comme des vers luisants. Quand ils sont devenus mous comme de la guimauve, je les mets dans ma bouche. Et je les laisse fondre.
Elle me supplie de ne plus approcher. Elle se sent faible comme un oisillon, Jour.
Mais je n’ai jamais été aussi affamé qu’en ce Crépuscule. J’ai léché toute la lumière qu’elle répandait autour d’elle et ça m’a mis en appétit. Je me pourlèche les babines.
Je resserre mon étreinte autour d’elle, pour sentir sa chaleur devenir la mienne et s’épuiser dans mon corps. Son ardeur jamais ne pourra me réchauffer entièrement, voilà ma grande douleur. Je ne serai jamais lassé de la consommer, car je suis le seul à ne pas me consumer à ses pieds.
Son feu allume mon corps abyssal d’étincelles multicolores, de feux d’artifices âpres, de brasiers rugueux.
Je voile sa lumière orgueilleuse sous mes caresses.
Petit à petit, j’efface la clarté implacable de ses courbes.
Je brouille ses repères en posant mes lèvres sur ses paupières.
Comme tu es belle, Jour.
Ton cœur, ton cœur, ton cœur, pulse sourdement dans ma poitrine vide.
Ma bouche engouffre ta lumière, chaude comme le rhum, dans ma gorge de ténèbres.
C’est un pur délice.
Tu es dans mon ventre pour le temps d’une nuit, afin que je puisse te rendre ensuite au frêle matin, fortifiée par les étreintes de la nuit.
A chaque nouvelle aube, Jour, je te rendrai fertilisée au Ciel, pour que jamais ta lumière ne faiblisse sur cette Terre.
Date de dernière mise à jour : 25/01/2021
Commentaires
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- 1. Edwige et J.P. Le 19/02/2021
Une qualité d’écriture rare.
En revanche, ces poèmes sont bien sombres. Nous espérons qu’ils ne reflètent pas ton état d’esprit...
La piste audio est une bonne idée, elle ajoute un supplément d’âme au poème, surtout lorsque l’on a l’honneur de connaître l’auteur.
Nous attendons avec impatience de nouvelles parutions!
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